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Réminiscences-1
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7 juin 2006

Enfance

Dans la famille il arrivait qu'on parlât encore de Paul, comme si de rien n'était. Avec indifférence, sans haine. Comme de quelqu'un qu'on a connu et qui est reparti.

J'ai toujours su que Paul était mon géniteur. Toutefois je ne me souviens pas d'avoir jamais prononcé le mot "papa". Je savais, instinctivement, que je ne devais pas en parler.

J'ai donc grandi en fille-qui-n'a-pas-de-père. A l'école, j'étais la seule. Tous mes camarades avaient un père.

Mais maintenant que j'y pense, c'est tout de même étonnant.

Quatre ans de guerre et pas d'enfants illégitimes dans le village ?

Quatre ans de guerre et Anna aurait été la seule femme à avoir fauté ?...

Eh bien, non ! Je sais que maman n'était pas la seule...

Comment je le sais ?

Ces choses-là se racontent à mots couverts dans les chaumières. Il suffit d'avoir l'oreille aux aguets. Et pour ça, j'étais douée. Je savais tout mais je ne disais rien. Comme pour Paul...

Dans la vie de tous les jours, j'ai appris très vite à me débrouiller toute seule. Lorsqu'on me cherchait des poux dans la tête, j'avais du répondant. Je n'hésitais pas à me battre s'il le fallait. Il y eut pas mal de crépages de chignon avec les filles. Jusque vers mes 12 ans, je n'ai pas eu de copine. Une copine à laquelle on se confie, avec qui on fait ses devoirs après la classe, avec qui on chahute, avec laquelle on a des fous-rire sans raison. Je ne savais même pas que ça pouvait exister. Pourtant, il y avait plein de filles de mon âge dans ma rue : Christiane, Marie-Thérèse, Marie-José, Charlotte, Hélène, Marie-Rose... Nous jouions ensemble, bien sûr, mais sans plus.

Je me rappelle d'une bagarre entre filles. La raison ? Aucune idée... Mais 40 ans après, je sans encore entre mes doigts la touffe de cheveux que j'ai arrachés à Gilberte. Grâce auquels j'avais eu le dessus...

Je m'entendais mieux avec les garçons. Mais ce n'est pas pour autant que je n'ai pas eu de problèmes avec eux. Rien que le jour où, pour chahuter, François m'a pris mon cartable. Comme je courais vers lui pour le lui reprendre, il le jeta à un camarade qui, lui, l'envoya encore à un autre et ainsi de suite... Jusqu'au moment où j'aperçu le propre cartable de François posé sur le sol. Sans réfléchir, je l'ai empoigné et l'ai balancé sur le tas de fumier d'une maison voisine. Après quoi, je n'ai eu aucun mal à récupérer mon bien.

Je répète donc que je me débrouillais seule avec mes problèmes. Imaginons que, pour une quelconque raison je sois rentrée en pleurant : Dans le meilleur des cas, ma mère m'aurait admonestée, dans le pire, je prenais une taloche supplémentaire : "ça t'apprendra", m'aurait-elle dit...

Ainsi, le jour où j'ai emprunté sa bicyclette. Elle me l'avait pourtant interdit. Mais c'était juste pour faire un petit tour. Trop petite pour poser mes fesses sur la selle, j'ai perdu l'équilibre en essayant de freiner. J'ai dévalé la rue en pente et j'ai valdingué dans les gravillons. Je me suis relevée tant bien que mal. Pas question de remonter sur le vélo dont la chaîne avait sauté. De retour à la maison, je l'ai poussé discrètement au fond de la grange. J'ai frotté mes genoux pour faire tomber les gravillons restés collés. Et là, je constate que j'ai les jambes en sang. Ca coule jusque dans mes chaussettes. J'avise un vieux chiffon, j'essuie sommairement et je me hâte, car on doit m'attendre pour dîner.

A la fin du repas, ma grand-mère remarque la flaque rouge qui s'étend sous ma chaise. Lorsque maman apprend que j'ai désobéi, d'abord elle me frappe, ensuite seulement elle me soigne.

Les jours suivants, on m'emmènera à l'hôpital car mes blessures s'étaient infectées, la faute sans doute au vieux chiffon que j'ai utilisé pour nettoyer mes genoux.

Je n'ai plus jamais emprunté le vélo de maman...

Pourtant, je ne suis pas une petite fille malheureuse. Nous sommes très pauvres mais je suis choyée par mes grands-parents et je ne connais pas d'autres richesses. Je me souviens de m'être rendue à l'école, un jour où la neige tombait à gros flocons, pieds nus dans mes sandales. Il m'est arrivé aussi un jour, dans la cour de l'école, de ramasser discrètement le morceau de chocolat qu'une camarade avait laissé tomber.

Rémy et moi, nous nous entendons bien. Nous partageons le même lit. C'est un grand lit, alors on ne se dérange pas trop. Notre jeu préféré avant de nous endormir consiste à retenir notre respiration. Celui qui tient le plus longtemps a gagné.

J'aime les longues soirées d'hiver où nous nous retrouvons tous, amis, cousins ou voisins dans la salle de séjour surchauffée. On discuten on raconte des blagues, on rit... Chacun a une histoire à raconter, des conseils à demander ou à donner. Pendant ce temps, les mains ne restent pas inactives. Il y a des vieilles chaussettes à repriser, des nouvelles à tricoter, des paniers à réparer. Mon frère et moi évitons de nous faire remarquer sinon on nous nous envoie au lit.... Un jour, le cousin Lorentz nous a emmenés faire une longue promenade dans son traineau. La nuit était belle et lumineuse et les chevaux filaient sur le chemin enneigé. J'étais complètement emmitouflée. Seuls, mes yeux dépassaient de la couverture. Malgré ma peur des chevaux, le souvenir de cette soirée reste très vif.

En été, grand-mère s'assoie avec nous sur le banc devant la maison et mon mon frère et moi  chantons les comptines apprises à l'école. Lorsque la nuit tombe, nous contemplons en silence le ciel étoilé.

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Les gens de mon village sont tous catholiques.

Un jour, des étrangers sont venus louer une maison dans le village. Un couple avec leur petite fille.

Agitation dans les foyers, bouleversement dans le village : ils sont protestants!... Des protestants dans notre village catholique!... Pendant les quelques mois où elle a habité là, je me mis à observer cette nouvelle camarade. Curieusement, elle n'avait aucune anomalie.  J'en ai donc déduit que les protestants n'étaient guère différents des catholiques.

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