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Réminiscences-1
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22 juillet 2006

L'enfance, l'école et tout le reste...

Maman a épousé Jean. Il parait vraisemblable qu'elle a fait sa connaissance par petite annonce. Jean était veuf et, souffrant de solitude, il voulait refaire sa vie au plus vite. Sa femme était morte l'année précédente en donnant naissance à leur bébé, un petit garçon prénommé Jean, comme son père. Il venait également de mettre un terme à sa carrière militaire. Il revenait d'Indochine et souffrait de paludisme.

Maman l'a donc épousé et par la même occasion Jean m'a légalement reconnue. Et ensemble ils m'ont fait un petit frère. Rémy est né en janvier 1950.

Très rapidement les choses ont commencé à aller mal. Jean était travailleur, honnête. Et sobre... les jours ordinaires. J'étais beaucoup trop jeune pour pouvoir juger de la sobriété de mon nouveau papa, mais un fait reste gravé dans ma mémoire : C'était jour de baptême d'un cousin. On mange, on chante, on danse, on rit et on boit, forcément un peu plus que d'habitude. Il semblerait que ce jour-là Jean ait dépassé les limites. Il est tout simplement monté sur la table et s'est mis à danser sur la nappe blanche, renversant les verres et piétinant la vaisselle.

C'était le début de la fin.

Jusqu'au divorce.

Jean n'a finalement fait que passer dans notre famille. Une famille qui lui en voulait, une famille qui en disait beaucoup de mal, une famille contente d'être, je cite "débarrassée de cet ivrogne".

Aujourd'hui, plus de 50 ans après, j'aimerais lui rendre la dignité que ma famille lui a refusée.

Après avoir quitté l'armée, Jean trouve du travail dans les forages pétroliers de Pechelbronn. Il gagne bien sa vie, toutefois, il quitte ce travail pour un emploi médiocre à Saverne lorsqu'il épouse Anna. Originaire d'une petite ville du Sud-Ouest, il ne parle pas le dialecte. Il se retrouve donc dans une famille dans laquelle les échanges verbaux seront impossibles. Les parents d'Anna ne parlent ni ne comprennent le français et Jean ne comprend rien au dialecte alsacien. Ce qui me fait penser que ça n'a pas dû aller très fort non plus avec la famille de sa première femme. Comment se fait-il comprendre ? Comment se débrouille-t-il pour donner un coup de main aux travaux de la ferme ? Parce que vaches, cochons et couvées ne sont pas sa tasse de thé... Il n'y connait rien. On lui fait rapidement sentir qu'il est un incapable. Auguste, le père, n'est pas réputé pour avoir de la patience. La mère a du travail par-dessus la tête. Inutile de perdre encore davantage de temps à de vaines explications. Le pauvre Jean doit se sentir non seulement inutile, mais également bien seul. Et le réconfort viendra d'un petit verre par ci, d'un autre par là. L'alcool fait-il bon ménage avec le paludisme ? Jean se soignait-il correctement ? J'en doute. C'est donc dans cette solitude que Jean verra son union s'éffilocher. A aucun moment Anna ne prend la défense de Jean. Dans aucune de ses crises, elle ne le soutiendra. Et après l'ultime esclandre du baptême, on lui enjoindra de prendre la porte. Personne ne le retiendra. Anna aura quelques tracas avec leur divorce mais tout rentrera dans l'ordre. Et je n'ai jamais revu Jean.

Par contre, longtemps après, j'ai retrouvé le "petit" Jean, son fils. Et c'est grâce à lui que j'ai appris que le père s'était remarié, une nouvelle fois. Sa nouvelle épouse avait déjà une petite fille. Jean lui donnera son nom à elle aussi. Et ensemble, ils auront encore deux autres enfants. Ils vécurent heureux jusqu'à la mort de la femme.

Rémy a pu le rencontrer il y a quelques années. Il a trouvé un homme diminué physiquement mais surpris et sincèrement heureux de revoir ce fils dont il était sans nouvelles depuis des décennies. Le père et le fils ont découvert qu'ils regrettaient ce long silence.

Jean est mort. Suite à ce décès, nous, tous ses enfants, les vrais et les "reconnus" nous sommes retrouvés ensemble dans la ville où il a vécu. J'ai fait la connaissance des ses trois autres enfants dont j'ignorais tout. Des enfants fiers de ce père qui les a élevés dignement.

Nous étions six enfants issus des trois mariage de Jean. Et notre seul point commun est le nom que nous portons.

Je veux que mes enfants et petits-enfants apprennent qui était réellement cet aïeul dont ils ignorent tout, cet homme dont la mémoire a été censurée pendant toutes ces longues années par une famille, ma famille qui n'a pas su ou qui n'a pas voulu le comprendre.

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En octobre 1952, j'entre à l'école communale. L'apprentissage de la langue française sera ma première grande découverte.

L'institutrice qui dirige la section des "petits" s'appelle Reine Ott. Elle me porte une attention particulière et elle me montre beaucoup d'affection. Elle quittera le village à la fin de mon cours préparatoire.

Je ne l'ai jamais oubliée. Avant de partir, elle me remettra, en guise de cadeau d'adieu un livre avec, sur la page de garde, quelques mots écrits de sa main. Je ne me suis jamais séparée de ce livre.

L'année suivante, c'est Mademoiselle Jérome qui prendra en main l'éducation des trois classes des "petits". Je n'ai guère de souvenirs des deux années de cours élémentaires passées avec elle.

classe_des_petits

Les 3 classes de Mlle Jérôme

Il y a quelques temps, en consultant le journal régional, j'ai découvert que Reine venait de mourir.

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En octobre 1955, c'est la rentrée dans la section des grands chez Monsieur Neusch. Nous sommes fiers d'être enfin dans la classe des grands, dans la classe du "maître". Je voue une profonde admiration à cet homme car en très peu d'années j'ai beaucoup appris grâce à lui. 50 ans après, j'ai toujours intactes dans ma mémoire ses règles de grammaire ou accords de participes et je retrouve ses propres expressions lorsque j'explique une leçon à ma petite-fille. C'est également grâce à son énergie et sa persévérance que, bien des années après, la demande de naturalisation de Raïf a été si rapidement couronnée de succès.

Il me vient à l'esprit une drôle d'histoire. je n'en ai jamais soufflé mot à quiconque. Devant moi est assise Marie-Josée. A la fin de la classe, il y a subitement un grand remue-ménage. Tous les regards sont tournés vers moi. Marie-Josée tend un doigt accusateur dans ma direction. Sur son épaule, de grosses marques d'encre maculent son tablier. Un peu comme si quelqu'un y avait essuyé sa plume. Elle raconte au "maître" que c'est moi l'auteur de ces taches. Elle se met à fouiller dans mon plumier et en mon porte-plume en criant qu'elle reconnait bien la trace de MA plume! Je suis consternée. Je n'ai pas fait ça... Je le saurais, si je l'avais fait... Le maître interroge sa voisine, puis la mienne... Non, personne n'a rien remarqué...

Je n'ai jamais éclairci le mystère. Je suis intimement convaincue de n'avoir rien fait. Je n'ai jamais souffert de perte de mémoire. Ma tête va très bien. Alors ?... Que s'est-il passé ce jour ?...

Toujours est-il que j'ai conservé un très fort sentiment de culpabilité et je faisais un énorme détour lorsque je devais croiser la maman de Marie-José.

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1956-1957 : Maman a trouvé un nouveau travail. Mais pourquoi a-t-elle donc quitté cette place qu'elle occupait depuis des années chez la famille B. à Saverne ? Des gens aisés, une superbe maison où je découvrais que chaque enfant y avait sa propre chambre... Des tapis, des tableaux, des bibelots... Que de belles choses!.. J'aimais beaucoup cette famille car lorsque je n'allais pas à l'école j'étais autorisée à accompagner maman. Je jouais avec les filles de la maison, surtout avec Simone, qui avait mon âge. Dans le salon trônait un superbe piano sur lequel on me laissait taper quelques gammes.

A présent, elle tient la maison d'un chef d'entreprise, un vieux grincheux célibataire. Elle lui fait les courses, le ménage et les repas et touche 15.000 francs par mois. Avec une somme pareille, nous ne nous permettrons aucune folie.

Les bureaux de l'entreprise jouxtent l'appartement et maman a très vite sympathisé avec le comptable.

Leur sympathie est même tellement profonde qu'un petit frère est déjà en route.

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Rentrée des classes 1958 à l'école Saint Vincent de Paul à Luxeuil-les-Bains. Tout est nouveau pour moi.

L'année dernière, maman s'est remariée avec le comptable qui a quitté sa place de comptable pour s'engager dans l'armée de l'air et Luxeuil est le lieu de sa nouvelle affectation. Rémy et moi ne sommes pas de suite allés vivre avec eux. Nous sommes restés encore une année avec les grands-parents. D'ailleurs, j'ignorais que maman attendait un nouveau bébé. Chaque fois que le facteur apportait une lettre de maman, grand-mère la subtilisait discrètement. Un jour pourtant, j'ai réussi à lire une des missives. Maman y racontait sa grossesse difficile et ses problèmes financiers. Une nouvelle fois, j'ai gardé le silence sur ma découverte. Plus tard, je montrerai ma surprise lorsqu'une nouvelle lettre nous annoncera la naissance du bébé.

Cette année-là, nous avons passé Noël loin de maman. Grand-père est allé dans la forêt couper un sapin. Mais quand nous sommes montés au grenier, vous n'avons pas trouvé la boite qui contenait les guirlandes. Peut-être maman pensait-elle nous avoir près d'elle pour les fêtes ? En tout cas, elle avait emporté boules, étoiles, personnages, cheveux d'ange. A quoi bon un sapin de Noël si nous n'avions plus rien pour le décorer ? Qu'à celà ne tienne... J'ai cherché la corbeille de noix puis j'ai sorti du tiroir les papiers d'emballage des tablettes de chocolat doré et argenté que nous conservions pour les soeurs du couvent. Lorsque toutes les noix furent emballées, grand-père m'a aidée à les accrocher dans le sapin. Nous étions fiers de notre sapin et nous pouvions attendre sereinement l'arrivée du père noël.

Le père noël !... Quel personnage !... Chez nous, il ne ressemble pas à celui, barbu, souriant et vêtu de rouge qui est collé sur le pains d'épices. Dans nos contrée, c'est le Rubels, un être fruste, bourru et affreux avec des chaines et une hotte, non pas remplie de jouets mais qui sert à emporter les petits enfants pas sages, qui passe le soir de Noël de maison en maison. Il est accompagnée du Christkindel, jeune fille tout de blanc vêtu qui symbolise l'enfant Jésus. Tout en sachant que le Rubels n'existe pas, j'attendais ce moment avec une crainte non simulée, car, que nous ayons été sage ou non pendant l'année écoulée, le Rubels faisait toujours mine de vouloir nous emporter.

Nous avions le sentiment de l'avoir échappé belle quand il reprenait la porte après avoir bu un verre de schnaps pour se réchauffer avant de se rendre dans la maison voisine. Il devait être dans un bel état, le rubels à la fin de la soirée...

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Ca me fait tout drôle d'habiter dans un immeuble. J'entends les gens marcher au-dessus de ma tête. Il y a aussi ce bruit bizarre, énorme, régulier qui me réveille la nuit. Ca me fait peur. Jusqu'au moment où je comprends que c'est le train et sa locomotive à vapeur qui passe non loin de la maison.

J'entre en 6ème, c'est mon premier jour et ce sont les soeurs qui nous font la classe. Tout est nouveau pour moi : l'école, les camarades, la demi-pension... Aïe, mon premier passage au réfectoire se passe très mal. Il faut fournir couverts et serviette. Je n'avais ni l'un ni l'autre. Convaincue par une camarade qu'aucun repas ne me serait servi, je m'enfuis en pleurant de l'école pour rentrer déjeuner chez maman. Malheureusement, je me trompe de direction et je ne retrouve pas le chemin de la maison. J'erre dans les rues avant de retourner en cours, l'estomac dans les talons.

Je suis bonne élève et je me plais beaucoup dans cette école. Les soeurs sont gentilles. A cette époque elles portent de longues tuniques noir et blanc et elles cachent leurs cheveux sous de grandes cornettes. Je me lie d'amitié avec Jocelyne Haroué, une élève de 4ème qui me prend sous son aile. Maman remplit déjà les cartons car son militaire de mari doit déjà rejoindre sa nouvelle affectation. Mais il parait préférable à tous que je termine le premier trimestre dans cet établissement. Ma famille déménagera donc sans moi. Je reste pensionnaire à Saint Vincent de Paul. Je me sens seule et abandonnée, triste à pleurer (c'est d'ailleurs ce que je fais tous les soirs dans mon lit) jusqu'aux vacances de Noël.

Je ne serai restée dans cette école que le temps d'un premier trimestre.

Après les vacances de Noël, je continuerai ma classe de 6ème à la Doctrine Chrétienne, encore une école de bonnes soeurs à Strasbourg.

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