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Réminiscences-1

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31 juillet 2006

Intermède en Germanie

Le militaire a accepté une mutation pour l'Allemagne. Nous sommes donc partis vivre de l'autre côté du Rhin. Tous les matins, un autobus militaire emmène les élèves français de Kehl vers leurs écoles de Strasbourg. Je suis la seule à me faire déposer devant mon école. J'aime ça, ça me donne de l'importance. C'est un peu comme si j'avais un chauffeur personnel. C'est dingue le cinéma qu'on peut se faire quand on a quinze ans.

J'ai beau changer d'école, les résultats scolaires sont franchement mauvais. Marie Curie ne me réussit pas. Et je m'entends de moins en moins avec ma mère.

Je vais souvent me promener sur les berges du Rhin. Cet endroit me fait rêver. Je m'assoie dans l'herbe et je regarde passer les bateaux. Un soir, alors que, songeuse, je regardais une péniche accoster pour la nuit, un garçon est venu s'asseoir à proximité. Longtemps, sans rien dire, nous avons regardé couler les eaux du fleuve. Puis il s'est approché. 

Il était grand et beau. Il était brun et avait des yeux magnifiques.

Beaucoup plus tard, il m'a raccompagnée jusque devant chez moi et avant de me quitter, il m'a embrassée.

J'ai seize ans et c'est mon premier baiser.

Je monte les escaliers, le coeur battant, les joues en feu...

Maman m'attend. Elle m'a vue arriver. Elle m'a vue me faire embrasser...

Ca va barder...

... !!!

Ca a bardé ! Maman était hors d'elle. J'ai pris une telle raclée que j'ai cru qu'elle allait me tuer. Elle m'a traitée de tous les noms : J'étais la pire des trainées, une moins-que-rien, une putain... J'ai eu vraiment très peur lorsqu'elle m'a mis un couteau sous la gorge. Tout ça pour quelques mots échangés avec un garçon, pour un seul et unique baiser.

Le militaire n'a pas bronché. Lorsque maman en eut fini avec sa scène, je suis allée laver mon visage tuméfié et soigner mes bleus.

Le militaire s'est alors approché d'elle pour lui faire remarquer qu'elle aurait pu faire moins de bruit. 

Le lendemain soir, j'ai vu le garçon faire les cent pas devant l'immeuble en lorgnant ma fenêtre. Cachée derrière les rideaux, je le regardais aller et venir.

Je ne me suis pas montrée. Mais je me suis jetée sur mon lit en pleurant.

Pendant des semaines, je n'ai plus adressé la parole à ma mère. Je m'enfermais dans ma chambre pendant des heures pour m'apitoyer sur mon sort et rêver à des jours meilleurs. J'en venais à espérer qu'elle mettrait ses continuelles menaces à exécution, c'est-à-dire me faire enfermer dans une maison de correction. J'enviais secrètement la fille qui habitait en face et dont la maman était gravement malade et sur le point de mourir.

L'année scolaire fut lamentable. Je serai obligée de redoubler ma 3ème.

Et pourtant, j'ai réussi mon Brevet...

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30 juillet 2006

Mes jeunes années à Strasbourg...

C'est donc en janvier 1959, après ce bref intermède dans la "France de l'intérieur" que je suis revenue en Alsace.

Nous habitons à présent un logement au 3ème étage d'une hlm de la Meinau. Un immeuble de neuf étages !!!Même à Luxeuil il n'y en avait pas d'aussi haut. Neuf étages !!! Ce n'est pas rien. De quoi regarder de haut les copines vivant en maison individuelle.  C'est le Pérou ! Que dis-je ?... C'est l'Amérique !!!... Moi qui jusqu'à il y a trois mois encore faisais ma toilette à l'eau froide devant l'évier de la cuisine, qui allais faire pipi dans le cabinet derrière la maison (fallait descendre la cour, traverser la grange après avoir tiré le verrou de la porte, ouvrir la porte de derrière, celle qui mène au jardin pour enfin accéder au petit coin), qui rentrais des corbeilles de bois pour le fourneau... Et à présent, nous avons une salle de bain, un w.c. (on ne dit plus cabinet), il suffit de tourner le bouton du radiateur pour avoir chaud, et ... j'ai une chambre pour moi toute seule !!! Du grand luxe, vous dis-je...

Je termine donc ma classe de 6ème à la Doctrine Chrétienne. Ca se passe très bien. Bonnes notes, bonne élève.

Je passe en 5ème. Toujours de très bonnes notes. A la remise des prix en fin d'année, je raffle prix d'excellence, compliments et une montagne de livres.

L'école et la maison ? Deux mondes totalement différents. Aller à l'école est pour moi un vrai bonheur, une ouverture sur la vie. Grâce aux études, je m'échappe du triste quotidien qui règne dans mon hlm.

Je me rends à l'école en tram. Un bon vieux tram aux banquettes de bois, toujours bondé. Mais, avec les copines, on trouve toujours le moyen de se mettre ensemble.

Mireille Boehler, Marie-Jeanne dont je ne me souviens plus du nom, quelque chose comme Meoni qui nous venait de Tunisie, Marie-Noelle, Sonia Eberhart, Annie Dro... et les autres, qu'êtes-vous devenues ?

Bernard Goepp est mon premier bon copain. J'ai douze ans, il en a onze. Nous sommes quasiment inséparables. Toutefois, maman voyait cette amitié d'un mauvais oeil. Elle m'avait prévenue, elle ne voulait plus que nous nous voyons. J'ignore pourquoi cette décision péremptoire ... Je l'ai revu pourtant, moi à ma fenêtre du troisième étage, lui loin en-dessous. Je me souviens que nous parlions des devoirs du lendemain. Maman nous a surpris et elle m'a mis une raclée dont je gardais les traces des jours durant.

Maman est une femme autoritaire. Rémy et moi avons été élevés de façon très totalitaire. Le pouvoir absolu, c'est elle. Elle décide de tout. Elle punit, elle frappe... La tendresse, connait pas... Ou alors, réservée au petit dernier. Même le militaire de carrière n'a pas son mot à dire. Celui-là, de toute façon passe son temps à étudier pour passer d'éventuels examens lui permettant de monter en grade. 

Exit donc, le petit copain...

Nous ne roulons pas sur l'or. La solde d'un sergent-chef de l'armée de l'air ne nous permet aucune folie. Des gens bien intentionnés nous refilent des vêtement qu'ils ne peuvent ou ne veulent plus porter. Les tentations de maman pour les mettre au goût du jour sont dérisoires. Je ne peux pas passer sous silence les vieilles fringues que maman m'oblige à porter. Pas question de me lamenter ou me rebeller devant le choix déterminé de ma mère. Il m'arrive de surprendre le regard étonné et gêné de mes amies devant ma mise quelque peu démodée.

bapt_me

bapt_me

Sous une pareille tutelle, il est normal que les rapports entre les parents et moi se dégradent. Et les résultats scolaires aussi.

J'avais fini ma 5ème avec éclat. La directrice m'avait mise sur la liste pour passer le concours d'entrée à l'Ecole Normale des Institutrices. J'allais peut-être enfin pouvoir me libérer de la famille.... Depuis quelques temps, j'avais des douleurs abdominales. Cela est normal chez une fille de treize ans. Subitement, à quelques jours du concours, maman fit venir le médecin. Celui-ci me prescrivit du repos... et je perdis par la même occasion l'espoir d'entrer à l'Ecole Normale.

Par la suite je compris que maman avait habilement manoeuvré pour m'empêcher de partir de la maison.

Au mois d'avril, j'ai fait ma communion solennelle (on ne disait toujours pas profession de foi) à l'église du village de ma grand-mère. Auparavant, il fallait faire retraite, c'est-à-dire que mes camarades et moi avons passé trois jours de prière au couvent de Reinacker. Nous avons partagé le quotidien des soeurs et à la fin de notre séjour, nous étions toutes convaincues que notre destin était de prendre le voile.

Je ne ressens aucune joie en me remémorant cette période. La préparation de cette fête fut une galère. La paroisse fournissait l'aube aux communiants. Il était indispensable de porter des chaussures blanches. Maman m'a acheté des chaussures... noires. J'étais catastrophée. Pourquoi pas des chaussures blanches comme toutes les filles ? Parce que... C'est comme ça et pas autrement. Ce n'est que la veille que maman est retournée au magasin pour me chercher de vulgaires chaussures blanches en toile. Et qui ressemblaient à des chaussons.

Et je n'ai plus voulu me "faire bonne soeur".

communion_denise_1960

En septembre 1960, j'entre en 4ème. Pas la peine d'épiloguer... c'est une année désastreuse. Des résultats en chute libre. Je ne peux pas être une crack à l'école si je suis malheureuse chez moi. J'ai quatorze ans et une famille qui ne me comprend pas, qui ne comprend rien à rien. Ma mère continue ses scènes, le militaire étudie toujours. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi je n'ai plus d'intimité : ils ont installé une table dans ma chambre. C'est à présent le bureau du militaire. Et comme il planche ses examens jusque tard dans la nuit, la lumière me gêne, j'ai du mal à m'endormir et je n'ai donc pas mon compte de sommeil. J'ai bien tenté de rouspèter. Peine perdue. C'est ainsi et pas autrement...

Je n'aime plus les études.

Le militaire non plus, du moins momentanément. Il a loupé ses exams. Il y a quand même une justice.

Nombreuses sont mes amies d'enfance qui travaillent à l'usine dès quatorze ans.

Pourquoi pas moi ? Au moins, en gagnant ma vie je serai libre.

Mes seuls bonheurs, c'est quand on va voir ma grand-mère. Nous y passons toutes nos vacances. C'est plus agréables que par le passé, il n'y a plus de vaches, plus de travaux fermiers auxquels il faut participer. Ce sont donc des vraies vacances où ma principale activité consiste à dévorer des romans-photos.

En septembre 1961, on me change d'école. Comme les études ne me réussissent plus chez les bonnes soeurs, les parents décident que je ferai ma 3ème au Lycée Marie Curie. A la Doctrine, toutes les filles portaient des blouses bleues. Premier changement visuel à Marie Curie : les filles sont en blouse beige.  Pas mieux que le bleu. De plus je trouve que ça nous donne mauvaise mine.

Les études ? Bof !... Toujours pas mieux. La dégringolade continue. Les filles ont de l'argent de poche, moi pas. Elles me parlent du nouveau chanteur dont elles ont acheté le microsillon et dont elles sont toutes dingues, un certain Johnny... Certaines commencent à se maquiller (c'est certes interdit par le règlement de l'école), se mettent du crayon noir sur les yeux. D'autres portent déjà un soutien-gorge. Moi, je suis plate comme une limande, bien qu'un peu moins maigre qu'avant. Pourtant je suis réglée depuis un an déjà.

Je me souviens de mes premières règles. J'en ai parlé à mots couverts à ma mère dès que j'ai remarqué des traces brunâtres. Elle fait semblant de ne pas comprendre. Alors je lui parle clairement de ce qui m'arrive. Sans un mot, elle me tend une serviette, me regarde faire, et me dispute parce que je ne la mets pas correctement. Dire qu'à quatorze ans, j'imaginais que ça coulait de derrière. Tout en ayant vaguement discuté du sujet entre copines, j'étais restée très ignorante "de ces choses". Maman avait beaucoup de mal à aborder ce genre de sujet. Alors c'est le militaire qui s'est mis à m'éclairer. Un soir, il prit place à table, me demanda de m'installer en face de lui, et il a commencé sa tirade : "A présent, te voilà une femme, je vais t'expliquer ce qui t'arrive" ...   Maman lui ayant laissé le champ libre, c'était donc à lui de me donner mon premier cours d'éducation sexuelle. Mais moi, je ne lui avais rien demandé. J'ai coupé court à ses explications... Non mais !... Je n'en voulais plus, de ses explications... N'avait qu'à se manifester avant... Et puis d'abord, il n'a rien à voir avec moi...

Maintenant je vais vraiment me débrouiller avec les copines.

22 juillet 2006

L'enfance, l'école et tout le reste...

Maman a épousé Jean. Il parait vraisemblable qu'elle a fait sa connaissance par petite annonce. Jean était veuf et, souffrant de solitude, il voulait refaire sa vie au plus vite. Sa femme était morte l'année précédente en donnant naissance à leur bébé, un petit garçon prénommé Jean, comme son père. Il venait également de mettre un terme à sa carrière militaire. Il revenait d'Indochine et souffrait de paludisme.

Maman l'a donc épousé et par la même occasion Jean m'a légalement reconnue. Et ensemble ils m'ont fait un petit frère. Rémy est né en janvier 1950.

Très rapidement les choses ont commencé à aller mal. Jean était travailleur, honnête. Et sobre... les jours ordinaires. J'étais beaucoup trop jeune pour pouvoir juger de la sobriété de mon nouveau papa, mais un fait reste gravé dans ma mémoire : C'était jour de baptême d'un cousin. On mange, on chante, on danse, on rit et on boit, forcément un peu plus que d'habitude. Il semblerait que ce jour-là Jean ait dépassé les limites. Il est tout simplement monté sur la table et s'est mis à danser sur la nappe blanche, renversant les verres et piétinant la vaisselle.

C'était le début de la fin.

Jusqu'au divorce.

Jean n'a finalement fait que passer dans notre famille. Une famille qui lui en voulait, une famille qui en disait beaucoup de mal, une famille contente d'être, je cite "débarrassée de cet ivrogne".

Aujourd'hui, plus de 50 ans après, j'aimerais lui rendre la dignité que ma famille lui a refusée.

Après avoir quitté l'armée, Jean trouve du travail dans les forages pétroliers de Pechelbronn. Il gagne bien sa vie, toutefois, il quitte ce travail pour un emploi médiocre à Saverne lorsqu'il épouse Anna. Originaire d'une petite ville du Sud-Ouest, il ne parle pas le dialecte. Il se retrouve donc dans une famille dans laquelle les échanges verbaux seront impossibles. Les parents d'Anna ne parlent ni ne comprennent le français et Jean ne comprend rien au dialecte alsacien. Ce qui me fait penser que ça n'a pas dû aller très fort non plus avec la famille de sa première femme. Comment se fait-il comprendre ? Comment se débrouille-t-il pour donner un coup de main aux travaux de la ferme ? Parce que vaches, cochons et couvées ne sont pas sa tasse de thé... Il n'y connait rien. On lui fait rapidement sentir qu'il est un incapable. Auguste, le père, n'est pas réputé pour avoir de la patience. La mère a du travail par-dessus la tête. Inutile de perdre encore davantage de temps à de vaines explications. Le pauvre Jean doit se sentir non seulement inutile, mais également bien seul. Et le réconfort viendra d'un petit verre par ci, d'un autre par là. L'alcool fait-il bon ménage avec le paludisme ? Jean se soignait-il correctement ? J'en doute. C'est donc dans cette solitude que Jean verra son union s'éffilocher. A aucun moment Anna ne prend la défense de Jean. Dans aucune de ses crises, elle ne le soutiendra. Et après l'ultime esclandre du baptême, on lui enjoindra de prendre la porte. Personne ne le retiendra. Anna aura quelques tracas avec leur divorce mais tout rentrera dans l'ordre. Et je n'ai jamais revu Jean.

Par contre, longtemps après, j'ai retrouvé le "petit" Jean, son fils. Et c'est grâce à lui que j'ai appris que le père s'était remarié, une nouvelle fois. Sa nouvelle épouse avait déjà une petite fille. Jean lui donnera son nom à elle aussi. Et ensemble, ils auront encore deux autres enfants. Ils vécurent heureux jusqu'à la mort de la femme.

Rémy a pu le rencontrer il y a quelques années. Il a trouvé un homme diminué physiquement mais surpris et sincèrement heureux de revoir ce fils dont il était sans nouvelles depuis des décennies. Le père et le fils ont découvert qu'ils regrettaient ce long silence.

Jean est mort. Suite à ce décès, nous, tous ses enfants, les vrais et les "reconnus" nous sommes retrouvés ensemble dans la ville où il a vécu. J'ai fait la connaissance des ses trois autres enfants dont j'ignorais tout. Des enfants fiers de ce père qui les a élevés dignement.

Nous étions six enfants issus des trois mariage de Jean. Et notre seul point commun est le nom que nous portons.

Je veux que mes enfants et petits-enfants apprennent qui était réellement cet aïeul dont ils ignorent tout, cet homme dont la mémoire a été censurée pendant toutes ces longues années par une famille, ma famille qui n'a pas su ou qui n'a pas voulu le comprendre.

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En octobre 1952, j'entre à l'école communale. L'apprentissage de la langue française sera ma première grande découverte.

L'institutrice qui dirige la section des "petits" s'appelle Reine Ott. Elle me porte une attention particulière et elle me montre beaucoup d'affection. Elle quittera le village à la fin de mon cours préparatoire.

Je ne l'ai jamais oubliée. Avant de partir, elle me remettra, en guise de cadeau d'adieu un livre avec, sur la page de garde, quelques mots écrits de sa main. Je ne me suis jamais séparée de ce livre.

L'année suivante, c'est Mademoiselle Jérome qui prendra en main l'éducation des trois classes des "petits". Je n'ai guère de souvenirs des deux années de cours élémentaires passées avec elle.

classe_des_petits

Les 3 classes de Mlle Jérôme

Il y a quelques temps, en consultant le journal régional, j'ai découvert que Reine venait de mourir.

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En octobre 1955, c'est la rentrée dans la section des grands chez Monsieur Neusch. Nous sommes fiers d'être enfin dans la classe des grands, dans la classe du "maître". Je voue une profonde admiration à cet homme car en très peu d'années j'ai beaucoup appris grâce à lui. 50 ans après, j'ai toujours intactes dans ma mémoire ses règles de grammaire ou accords de participes et je retrouve ses propres expressions lorsque j'explique une leçon à ma petite-fille. C'est également grâce à son énergie et sa persévérance que, bien des années après, la demande de naturalisation de Raïf a été si rapidement couronnée de succès.

Il me vient à l'esprit une drôle d'histoire. je n'en ai jamais soufflé mot à quiconque. Devant moi est assise Marie-Josée. A la fin de la classe, il y a subitement un grand remue-ménage. Tous les regards sont tournés vers moi. Marie-Josée tend un doigt accusateur dans ma direction. Sur son épaule, de grosses marques d'encre maculent son tablier. Un peu comme si quelqu'un y avait essuyé sa plume. Elle raconte au "maître" que c'est moi l'auteur de ces taches. Elle se met à fouiller dans mon plumier et en mon porte-plume en criant qu'elle reconnait bien la trace de MA plume! Je suis consternée. Je n'ai pas fait ça... Je le saurais, si je l'avais fait... Le maître interroge sa voisine, puis la mienne... Non, personne n'a rien remarqué...

Je n'ai jamais éclairci le mystère. Je suis intimement convaincue de n'avoir rien fait. Je n'ai jamais souffert de perte de mémoire. Ma tête va très bien. Alors ?... Que s'est-il passé ce jour ?...

Toujours est-il que j'ai conservé un très fort sentiment de culpabilité et je faisais un énorme détour lorsque je devais croiser la maman de Marie-José.

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1956-1957 : Maman a trouvé un nouveau travail. Mais pourquoi a-t-elle donc quitté cette place qu'elle occupait depuis des années chez la famille B. à Saverne ? Des gens aisés, une superbe maison où je découvrais que chaque enfant y avait sa propre chambre... Des tapis, des tableaux, des bibelots... Que de belles choses!.. J'aimais beaucoup cette famille car lorsque je n'allais pas à l'école j'étais autorisée à accompagner maman. Je jouais avec les filles de la maison, surtout avec Simone, qui avait mon âge. Dans le salon trônait un superbe piano sur lequel on me laissait taper quelques gammes.

A présent, elle tient la maison d'un chef d'entreprise, un vieux grincheux célibataire. Elle lui fait les courses, le ménage et les repas et touche 15.000 francs par mois. Avec une somme pareille, nous ne nous permettrons aucune folie.

Les bureaux de l'entreprise jouxtent l'appartement et maman a très vite sympathisé avec le comptable.

Leur sympathie est même tellement profonde qu'un petit frère est déjà en route.

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Rentrée des classes 1958 à l'école Saint Vincent de Paul à Luxeuil-les-Bains. Tout est nouveau pour moi.

L'année dernière, maman s'est remariée avec le comptable qui a quitté sa place de comptable pour s'engager dans l'armée de l'air et Luxeuil est le lieu de sa nouvelle affectation. Rémy et moi ne sommes pas de suite allés vivre avec eux. Nous sommes restés encore une année avec les grands-parents. D'ailleurs, j'ignorais que maman attendait un nouveau bébé. Chaque fois que le facteur apportait une lettre de maman, grand-mère la subtilisait discrètement. Un jour pourtant, j'ai réussi à lire une des missives. Maman y racontait sa grossesse difficile et ses problèmes financiers. Une nouvelle fois, j'ai gardé le silence sur ma découverte. Plus tard, je montrerai ma surprise lorsqu'une nouvelle lettre nous annoncera la naissance du bébé.

Cette année-là, nous avons passé Noël loin de maman. Grand-père est allé dans la forêt couper un sapin. Mais quand nous sommes montés au grenier, vous n'avons pas trouvé la boite qui contenait les guirlandes. Peut-être maman pensait-elle nous avoir près d'elle pour les fêtes ? En tout cas, elle avait emporté boules, étoiles, personnages, cheveux d'ange. A quoi bon un sapin de Noël si nous n'avions plus rien pour le décorer ? Qu'à celà ne tienne... J'ai cherché la corbeille de noix puis j'ai sorti du tiroir les papiers d'emballage des tablettes de chocolat doré et argenté que nous conservions pour les soeurs du couvent. Lorsque toutes les noix furent emballées, grand-père m'a aidée à les accrocher dans le sapin. Nous étions fiers de notre sapin et nous pouvions attendre sereinement l'arrivée du père noël.

Le père noël !... Quel personnage !... Chez nous, il ne ressemble pas à celui, barbu, souriant et vêtu de rouge qui est collé sur le pains d'épices. Dans nos contrée, c'est le Rubels, un être fruste, bourru et affreux avec des chaines et une hotte, non pas remplie de jouets mais qui sert à emporter les petits enfants pas sages, qui passe le soir de Noël de maison en maison. Il est accompagnée du Christkindel, jeune fille tout de blanc vêtu qui symbolise l'enfant Jésus. Tout en sachant que le Rubels n'existe pas, j'attendais ce moment avec une crainte non simulée, car, que nous ayons été sage ou non pendant l'année écoulée, le Rubels faisait toujours mine de vouloir nous emporter.

Nous avions le sentiment de l'avoir échappé belle quand il reprenait la porte après avoir bu un verre de schnaps pour se réchauffer avant de se rendre dans la maison voisine. Il devait être dans un bel état, le rubels à la fin de la soirée...

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Ca me fait tout drôle d'habiter dans un immeuble. J'entends les gens marcher au-dessus de ma tête. Il y a aussi ce bruit bizarre, énorme, régulier qui me réveille la nuit. Ca me fait peur. Jusqu'au moment où je comprends que c'est le train et sa locomotive à vapeur qui passe non loin de la maison.

J'entre en 6ème, c'est mon premier jour et ce sont les soeurs qui nous font la classe. Tout est nouveau pour moi : l'école, les camarades, la demi-pension... Aïe, mon premier passage au réfectoire se passe très mal. Il faut fournir couverts et serviette. Je n'avais ni l'un ni l'autre. Convaincue par une camarade qu'aucun repas ne me serait servi, je m'enfuis en pleurant de l'école pour rentrer déjeuner chez maman. Malheureusement, je me trompe de direction et je ne retrouve pas le chemin de la maison. J'erre dans les rues avant de retourner en cours, l'estomac dans les talons.

Je suis bonne élève et je me plais beaucoup dans cette école. Les soeurs sont gentilles. A cette époque elles portent de longues tuniques noir et blanc et elles cachent leurs cheveux sous de grandes cornettes. Je me lie d'amitié avec Jocelyne Haroué, une élève de 4ème qui me prend sous son aile. Maman remplit déjà les cartons car son militaire de mari doit déjà rejoindre sa nouvelle affectation. Mais il parait préférable à tous que je termine le premier trimestre dans cet établissement. Ma famille déménagera donc sans moi. Je reste pensionnaire à Saint Vincent de Paul. Je me sens seule et abandonnée, triste à pleurer (c'est d'ailleurs ce que je fais tous les soirs dans mon lit) jusqu'aux vacances de Noël.

Je ne serai restée dans cette école que le temps d'un premier trimestre.

Après les vacances de Noël, je continuerai ma classe de 6ème à la Doctrine Chrétienne, encore une école de bonnes soeurs à Strasbourg.

7 juin 2006

Enfance

Dans la famille il arrivait qu'on parlât encore de Paul, comme si de rien n'était. Avec indifférence, sans haine. Comme de quelqu'un qu'on a connu et qui est reparti.

J'ai toujours su que Paul était mon géniteur. Toutefois je ne me souviens pas d'avoir jamais prononcé le mot "papa". Je savais, instinctivement, que je ne devais pas en parler.

J'ai donc grandi en fille-qui-n'a-pas-de-père. A l'école, j'étais la seule. Tous mes camarades avaient un père.

Mais maintenant que j'y pense, c'est tout de même étonnant.

Quatre ans de guerre et pas d'enfants illégitimes dans le village ?

Quatre ans de guerre et Anna aurait été la seule femme à avoir fauté ?...

Eh bien, non ! Je sais que maman n'était pas la seule...

Comment je le sais ?

Ces choses-là se racontent à mots couverts dans les chaumières. Il suffit d'avoir l'oreille aux aguets. Et pour ça, j'étais douée. Je savais tout mais je ne disais rien. Comme pour Paul...

Dans la vie de tous les jours, j'ai appris très vite à me débrouiller toute seule. Lorsqu'on me cherchait des poux dans la tête, j'avais du répondant. Je n'hésitais pas à me battre s'il le fallait. Il y eut pas mal de crépages de chignon avec les filles. Jusque vers mes 12 ans, je n'ai pas eu de copine. Une copine à laquelle on se confie, avec qui on fait ses devoirs après la classe, avec qui on chahute, avec laquelle on a des fous-rire sans raison. Je ne savais même pas que ça pouvait exister. Pourtant, il y avait plein de filles de mon âge dans ma rue : Christiane, Marie-Thérèse, Marie-José, Charlotte, Hélène, Marie-Rose... Nous jouions ensemble, bien sûr, mais sans plus.

Je me rappelle d'une bagarre entre filles. La raison ? Aucune idée... Mais 40 ans après, je sans encore entre mes doigts la touffe de cheveux que j'ai arrachés à Gilberte. Grâce auquels j'avais eu le dessus...

Je m'entendais mieux avec les garçons. Mais ce n'est pas pour autant que je n'ai pas eu de problèmes avec eux. Rien que le jour où, pour chahuter, François m'a pris mon cartable. Comme je courais vers lui pour le lui reprendre, il le jeta à un camarade qui, lui, l'envoya encore à un autre et ainsi de suite... Jusqu'au moment où j'aperçu le propre cartable de François posé sur le sol. Sans réfléchir, je l'ai empoigné et l'ai balancé sur le tas de fumier d'une maison voisine. Après quoi, je n'ai eu aucun mal à récupérer mon bien.

Je répète donc que je me débrouillais seule avec mes problèmes. Imaginons que, pour une quelconque raison je sois rentrée en pleurant : Dans le meilleur des cas, ma mère m'aurait admonestée, dans le pire, je prenais une taloche supplémentaire : "ça t'apprendra", m'aurait-elle dit...

Ainsi, le jour où j'ai emprunté sa bicyclette. Elle me l'avait pourtant interdit. Mais c'était juste pour faire un petit tour. Trop petite pour poser mes fesses sur la selle, j'ai perdu l'équilibre en essayant de freiner. J'ai dévalé la rue en pente et j'ai valdingué dans les gravillons. Je me suis relevée tant bien que mal. Pas question de remonter sur le vélo dont la chaîne avait sauté. De retour à la maison, je l'ai poussé discrètement au fond de la grange. J'ai frotté mes genoux pour faire tomber les gravillons restés collés. Et là, je constate que j'ai les jambes en sang. Ca coule jusque dans mes chaussettes. J'avise un vieux chiffon, j'essuie sommairement et je me hâte, car on doit m'attendre pour dîner.

A la fin du repas, ma grand-mère remarque la flaque rouge qui s'étend sous ma chaise. Lorsque maman apprend que j'ai désobéi, d'abord elle me frappe, ensuite seulement elle me soigne.

Les jours suivants, on m'emmènera à l'hôpital car mes blessures s'étaient infectées, la faute sans doute au vieux chiffon que j'ai utilisé pour nettoyer mes genoux.

Je n'ai plus jamais emprunté le vélo de maman...

Pourtant, je ne suis pas une petite fille malheureuse. Nous sommes très pauvres mais je suis choyée par mes grands-parents et je ne connais pas d'autres richesses. Je me souviens de m'être rendue à l'école, un jour où la neige tombait à gros flocons, pieds nus dans mes sandales. Il m'est arrivé aussi un jour, dans la cour de l'école, de ramasser discrètement le morceau de chocolat qu'une camarade avait laissé tomber.

Rémy et moi, nous nous entendons bien. Nous partageons le même lit. C'est un grand lit, alors on ne se dérange pas trop. Notre jeu préféré avant de nous endormir consiste à retenir notre respiration. Celui qui tient le plus longtemps a gagné.

J'aime les longues soirées d'hiver où nous nous retrouvons tous, amis, cousins ou voisins dans la salle de séjour surchauffée. On discuten on raconte des blagues, on rit... Chacun a une histoire à raconter, des conseils à demander ou à donner. Pendant ce temps, les mains ne restent pas inactives. Il y a des vieilles chaussettes à repriser, des nouvelles à tricoter, des paniers à réparer. Mon frère et moi évitons de nous faire remarquer sinon on nous nous envoie au lit.... Un jour, le cousin Lorentz nous a emmenés faire une longue promenade dans son traineau. La nuit était belle et lumineuse et les chevaux filaient sur le chemin enneigé. J'étais complètement emmitouflée. Seuls, mes yeux dépassaient de la couverture. Malgré ma peur des chevaux, le souvenir de cette soirée reste très vif.

En été, grand-mère s'assoie avec nous sur le banc devant la maison et mon mon frère et moi  chantons les comptines apprises à l'école. Lorsque la nuit tombe, nous contemplons en silence le ciel étoilé.

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Les gens de mon village sont tous catholiques.

Un jour, des étrangers sont venus louer une maison dans le village. Un couple avec leur petite fille.

Agitation dans les foyers, bouleversement dans le village : ils sont protestants!... Des protestants dans notre village catholique!... Pendant les quelques mois où elle a habité là, je me mis à observer cette nouvelle camarade. Curieusement, elle n'avait aucune anomalie.  J'en ai donc déduit que les protestants n'étaient guère différents des catholiques.

17 mai 2006

Denise...

De nombreux enfants illégitimes naissent chaque année. Il y a une cinquantaine d'années, ça devait être une honte pour les familles.

Cette honte, je ne l'ai jamais ressentie. Ma famille n'avait pas l'air dramatiquement touchée. J'étais une enfant aimée, choyée, entourée. De plus, j'étais la première petite-fille.

Ma mémoire ne garde que de très lointains et rares souvenirs de ma petite-enfance.

Maman partait travailler pendant que ma grand-mère veillait sur moi. En fin de semaine, elle sortait, s'amusait, dansait. Rien n'avait changé dans sa manière de vivre. Souvent, elle m'emmenait dans le siège fixé sur le porte-bagages de son vélo. Je me souviens de retours, parfois très tardifs, ballottée et somnolant à l'arrière pendant que maman pédalait à travers la campagne.

Je me souviens aussi de mon premier voyage à Paris. Les photos en noir et blanc d'un photomaton me montrent avec un joli manteau de fourrure de lapin. Je ressens aujourd'hui encore la fascination que Paris a exercé sur moi. Toute cette foule à la sortie de la gare de l'Est, ces maisons à perte de vue, ces rues qui n'en finissent pas, les autobus dans lesquels nous allions d'un bout à l'autre de la capitale avant de nous rendre chez Simone, l'amie qui nous attendait en banlieue...

Je me souviens très distinctement d'une sortie dans la voiture d'Aloïs. Nous sommes partis, la famille d'Aloïs, maman et moi pour un pique-nique à la campagne. Mon premier voyage à bord d'une voiture !

Quelle voiture ! Toute noire et brillante ! Dans ma mémoire, elle ressemblait à ça...

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Malheureusement je n'ai aucun souvenir du déjeuner sur l'herbe car, tout près dans un enclos, paissait tranquillement un cheval. Et j'étais terrorisée par la présence de cet animal si proche.

Nous n'avons plus jamais voyagé avec Aloïs. Car ses deux filles sont toutes deux tombées amoureuses de soldats américains stationnés dans la région. Ces garçons sont rentrés au pays avec leur nouvelle épouse et y ont aussi accueilli les beaux-parents.

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3 mai 2006

Anna et Paul, suite ... fin

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Au printemps suivant, non sans mal, Anna donnera le jour à une petite fille.

Et Paul disparaîtra par le même occasion.

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Je suis née en mai 1946. On me prénomma Denise.

C'est le prénom qui figure sur le calendrier ce jour-là.

Comment m'aurait-on appelée si j'étais née un peu plus tôt ? Prudence ou Aglaé ?

Ou encore Faine ou Pétronille si j'étais née plus tard ?

2 mai 2006

Anna et Paul, suite...

1945...

Paul fréquente assidûment Anna. Elle dort sous les combles et le garçon dort sur le canapé de la stub.

La moisson bat son plein, les journées sont longues et le sommeil des parents est de plomb. Ils n'entendent pas dans la nuit les pas furtifs des amoureux...

2 mai 2006

Photo de famille

photo_de_famille

Thérèse et Auguste se marieront en 1920.

De leur union naîtront trois enfants :

Auguste en 1921, Anna en 1922, Madeleine en 1925.

25 avril 2006

La jeunesse de Thérèse

La vie de la petite Thérèse bascule alors qu'elle a à peine 8 ans.

Célestine, sa mère, a une soeur ainée, Caroline qui est borgne. Passionnée de travaux manuels, celle-ci a perdu un oeil alors qu'elle manipulait négligemment son crochet à perles. Vieille fille aigrie, elle réussit cependant à se marier sur le tard. L'union sera stérile et de courte durée car le mari meurt prématurément. Elle mène une vie de recluse à Henridorff, son village natal.

therese_carolinePour rompre sa solitude, Caroline demande à sa soeur de lui confier Thérèse pour quelques semaines. De toute façon la petite est en vacances et Célestine, charitable et candide ne voit aucune objection au départ de Thérèse.

Les semaines deviendront des mois, puis des années. Thérèse ne mène pas la vie confortable et heureuse que sa mère avit imaginée pour elle lorsqu'elle a "prêté" sa fille à Caroline. Dès son arrivée au foyer de sa tante (n'oublions pas que Thérèse n'a que 8 ans), chaque matin, été comme hiver, avant de se rendre à l'école, elle trait les vaches, les nourrit, nettoie l'étable, prend soin de la basse-cour. Elle en fera autant tous les soirs... pendant des années.

C'est une vie dure et servile que connait Thérèse.

Lorsque Auguste lui demandera de l'épouser, elle consentira avec joie et elle quittera avec soulagement l'interminable domination de sa tante.

24 avril 2006

la famille d'Auguste et de Thérèse

3_soeursJe vais remonter un peu le temps...

Les parents d'Auguste se prénomment Louis et Marie. Sept enfants sont nés de cette union :

Joséphine, Madeleine, Emilie, Antoine, Joseph, Célestine et mon grand-père Auguste.

Joséphine se marie à Ottersthal, Madeleine à Thal-Marmoutier, Joseph à Reinhardsmunster, Célestine entre au couvent.

Les parents de Thérèse se prénomment Augustin et Célestine.

Augustin, né en 1864 est "monté" à Paris pour y travailler. Célestine, née en 1862 le rejoint. C'est là qu'ils vont se marier en 1888 avant de revenir s'installer en Alsace.

Leurs trois premiers enfants sont décédés en bas âge. Puis ils ont eu Anna-Maria qu'ils appelaient simplement Marie. C'est elle qui mourra de phtisie. Ensuite vient Aloïs qui mourra à l'âge d'un mois.

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Après Thérèse naitront encore Catherine, puis Franz-Antoine. Ce dernier, alors agé d'à peine 20 ans, aura le crâne fracassé et trouvera la mort pour une sombre histoire de vengeance dans un guet-apens tendu par des jeunes gens d'un hameau voisin.

Contrairement à sa petite soeur Catherine qui est volontaire et têtue, Thérèse est une petite fille sage, douce et serviable.

Et sa vie va basculer alors qu'elle n'a pas 8 ans.

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